Le Ministère des Affaires étrangères a annoncé le 18 février 2010 aux adoptants en Haïti l’arrêt des procédures de rapatriement de leurs enfants. 120 enfants, pour lesquels le jugement d’adoption avait été prononcé, ne seront donc pas rapatriés, malgré les engagements en la matière du MAEE (https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/haiti_513/france-haiti_1218/presentation_4655/seisme-haiti-situation-enfants-haitiens-18.01.2010_79069.html).
Il semble qu’à la source de cette décision il y ait les textes parus le 17/02/10 d’abord sur le blog https://bboeton.wordpress.com/2010/02/17/ladoption-nest-pas-une-action-humanitaire-durgence/ puis relayés sur le blog « Abandon-adoption », sous le titre un peu rabâché de « L’adoption n’est pas une action humanitaire d’urgence ».
A première lecture, ces textes dénoncent les conditions d’accueil des enfants rapatriés : Orly, 6 heures du matin, un hall d’aéroport, lugubre, « quelques vieux jouets [qui] traînent », des enfants laissés aux mains des responsables de la cellule d’urgence médico-psychologique [1] par les personnes qui les ont convoyés depuis la Guadeloupe. Des enfants qui manifestent vite un grand désarroi face à des adultes dont ils ne parlent pas la langue, ne pratiquant que le créole (pourtant quand Evelyne, la directrice de la crèche Notre Dame de la Nativité parle, on la comprend parfaitement…[2])
Le trait est épaissi mais on croit comprendre la volonté de S. Marinopoulos (psychologue et psychanalyste) et P. Levy-Soussan (psychiatre et psychanalyste) de souligner ce qui fait problème dans cette rencontre entre parents et enfants, une situation que l’on aurait souhaitée apaisée au possible, accompagnée, soutenue. En particulier par les psychologues, psychiatres et psychanalystes présents.
Or, la suite du texte stupéfie : c’est une charge virulente contre des parents inconséquents aux comportements inadaptés.
Et les auteurs de souligner : « heureusement quelques belles rencontres nous apaisent ». On se sent rassurés pour eux…
Force est alors de se demander à quel titre ces deux personnes se trouvaient là : observateurs ? psychologues ? psychiatres ? psychanalystes d’urgence (sans doute une nouvelle notion) ?
On ne peut ensuite qu’être surpris par la posture adoptée. En effet, là où on pourrait s’attendre à une réflexion en profondeur sur les mécanismes psychiques à l’œuvre dans l’élaboration du lien parental adoptif, sans doute mis à mal dans de telles conditions, on ne trouve qu’une charge sans appel contre les parents adoptants dont sont relevés les comportements inconséquents : « des parents adoptifs déchirant une lettre d’une mère de naissance ne souhaitant rien garder du passé ; d’autres ne supportant pas la tenue de l’enfant qu’ils ont rencontré 5 minutes plus tôt et qu’ils changent, le dévêtant, lui supprimant ainsi ce qui faisait office de peau, d’enveloppement sensoriel ; de parents inadaptés psychiquement sans capacités identificatoires à l’enfant ; d’autres s’adressant à l’enfant avec son nouveau prénom sans lui avoir parlé de leur souhait de le rebaptiser tout de suite » [3].
Il est bien dans l’air du temps de dénoncer l’attitude irresponsable des parents adoptants (ceux qui veulent un enfant « à tout prix »..). Un air du temps entretenu par certains médias faisant leurs choux gras d’histoires sinistres qui rassurent les braves sauditeurs sur leurs propres (forcément) bonnes conduites, un air du temps bien relayé par ceux qui ne voient dans l’adoption internationale qu’un versant à peine caché du trafic d’enfants. Mais est-ce une posture de psychanalyste que de condamner ainsi sans autre forme de procès ni recul ?
Ce qui est donné à voir ici, c’est par exemple une scène (déchirer la lettre d’une mère de naissance) dont l’interprétation est laissée aux fantaisies du lecteur bien préparé à n’y voir que du mauvais, le « bon » étant forcément du côté de la mère de naissance. Qui connaît ou peut témoigner du contenu de ce courrier ? Qui peut jurer que ces parents, qui étaient en contact avec cet enfant depuis plus d’un an (durée minimale de la procédure), qui connaissaient son histoire « pré-adoption », n’ont pas cherché à le protéger d’un passé potentiellement très douloureux, à se protéger en tant que désormais parents (et reconnus comme tels par les autorités haïtiennes) ? L’acte est ici présenté comme irréparable : qu’en savons-nous ? Et d’ailleurs, pourquoi, comment cet enfant, dont la mère a consenti à son adoption depuis plus d’un an arrive-t-il avec une lettre de sa part ?
Non, on ne peut pas en trois minutes faire un diagnostic sur l’état psychique d’un individu, et c’est fort heureux…! Tout être humain a en lui un potentiel spécifique de fragilités mais aussi un potentiel de développement. Encore faut-il que ce potentiel soit soutenu. Cela vaut pour les enfants mais également pour les parents. Car se donner comme famille à un enfant est un acte grave qui engage toute la vie de l’individu qui l’accomplit. Aucun adoptant, après neuf mois au moins d’enquêtes psychologiques et sociales qui ont pour but de valider ses capacités parentales, ne peut l’ignorer.
Ceux qui ont choisi d’adopter en Haïti viennent de traverser une période particulièrement traumatisante : certains enfants sont décédés lors du séisme, d’autres le sont des conséquences de leurs blessures, certains parents ne savent que leur enfant est encore en vie que par les images terribles diffusées par les médias. Ils ont eu à se battre contre le ministère des affaires étrangères qui réfutait l’idée même d’une évacuation des enfants adoptés (donc reconnus comme tels par les autorités haïtiennes), ils ont gagné le rapatriement d’une partie des enfants, ont tremblé de ne pas savoir quand ni même si leur enfant ferait partie du voyage. Ils n’ont eu que quelques heures pour se préparer à venir les chercher et les accueillir dans les conditions déjà décrites…
Ces parents ont besoin du respect et de l’empathie de tous afin de pouvoir se donner comme famille à cet enfant. Tranquillement, doucement. Avec les erreurs qu’ils commettront forcément, comme tous les parents… et accompagnés si possible par des professionnels et des proches afin qu’ils trouvent en eux-mêmes les ressources nécessaires en se dégageant de discours culpabilisants et parfois contradictoires [3]. Ces parents, par crainte du jugement, vont beaucoup hésiter avant d’aller voir un quelconque psychiatre, psychologue ou psychanalyste… qui n’aura plus qu’à déplorer les « échecs de l’adoption » : « Les plus graves conséquences seront subies par les enfants et leurs familles et les années à venir révéleront des échecs d’adoption que nous avons fabriqués de toutes pièces. » On peut se demander alors qui aura fabriqué quoi… et dans quel but ?
Faut-il souligner encore que la plus grave des conséquences de cet article est l’arrêt du rapatriement des enfants adoptés ? Ces enfants vont rester éloignés de leurs familles, dans des conditions parfois très précaires (https://www.etic-communication.com/haiti/index.php?option=com_content&view=article&id=90:enregistrements-de-6-creches-1802&catid=3:communiques), au nom de leur propre intérêt ? Tout cela parce que l’accueil réservé aux premiers rapatriés n’a pas été à la hauteur des besoins de sécurisation affective et de ré-assurance des enfants ? Qui était donc responsable de l’organisation de cet accueil ? Qui a été consulté pour réfléchir à sa mise en place ?
N’aurait-il pas été plus « professionnel », plus responsable, de proposer de réelles mesures concernant l’accompagnement des familles (enfants et parents) plutôt que de demander « à l’exemple d’autres pays, le gel de toute arrivée d’urgence des enfants » ? [4] quand on sait par ailleurs que la grande majorité des enfants des autres pays d’accueil a déjà été rapatriée et que les crèches haïtiennes n’accueillent quasiment plus que les enfants français ?
Hélène Marquié-Dubié
Maître de conférences en psychologie
Présidente de Cœur Adoption
[1] D’après nos informations, la CUMP intervient sur Roissy, sur Orly c’est la Croix Rouge …
[2] A voir par exemple ici :
[3]c’est le même Dr Levy-Soussan qui préconise de changer le prénom de l’enfant dans un article où il suggère d’en finir avec les idées reçues : https://www.psychologies.com/Famille/Enfants/Epanouissement-de-l-enfant/Articles-et-Dossiers/Adoption-en-finir-avec-six-idees-recues) …
Merci à tous ceux (comme Jean-Vital de Monléon) qui luttent sans relâche contre les contre-vérités et le simplisme de certains « experts » et des médias.
Parlons-en, des médias. Une semaine après le séisme, le 19.45 de M6 évoquait le combat entre les organismes comme l’Unicef, désireux de lutter contre le trafic d’enfants, et les associations d’adoptants. Et le journaliste de présenter la position des adoptants comme (sic) « le psychologique, on s’en fiche » !
Comment un soi-disant journaliste peut-il décemment faire croire que les parents se désintéressent du bien-être des enfants qu’ils adoptent ? Et pourquoi les médias s’acharnent-ils à mettre dos à dos des notions qui n’ont rien à voir, le trafic d’enfant (parfois fantasmé) et l’adoption internationale ? Faut-il rappeler que quand il y a trafic d’enfant, les adoptants sont des victimes tout autant que les enfants ou que les parents biologiques ? Comment aussi notre ministre des affaires étrangères peut-il oser affirmer que l’adoption individuelle sort du cadre légal et est source de trafic, alors que dans le cas d’Haïti comme dans les autres cas, elle est absolument et entièrement encadrée ?
Ce fantasme de l’adoptant prêt à tout pour avoir un enfant, véhiculé par les politiques et par les médias, est souvent associé à « l’intérêt supérieur de l’enfant ». En vérité, il est ce qui peut faire le plus mal à l’adoption en général, et aux enfants qui ont besoin de parents. Alors oui, on peut se demander à qui profitent ces contre-vérités, régulièrement distillées : à ceux qui ne veulent plus en France d’enfants « d’ailleurs », ou à ceux qui veulent en récupérer les intentions de vote ?
Je ne sais même plus quoi dire tellement cette réaction du gouvernement était prévisible…
C’est triste de voir combien la politique est de plus en plus aliénée aux médias…
Pour rappel:
– le gouvernement refuse tout d’abord toute évacuation d’enfant
– les adoptants s’émeuvent, les médias s’émeuvent, la société s’émeut –> le gouvernement change d’avis (contre son gré, on le sent bien…) et commence à mettre en place un système d’évacuation d’urgence
– les adoptants continuent à s’émouvoir mais tous seuls, les médias ne s’émeuvent plus, ni la société… et, petit ingrédient supplémentaire qui tombe à point nommé, des psy s’émeuvent mais de façon diamétralement opposée à l’émotion générale –> le gouvernement re-change d’avis et décide de stopper toute évacuation
– quelle est la prochaine décision? suspendue à quelles réactions épidermiques?… Les enfants dont nous parlons doivent-ils être les otages de ces revirements de situations, au gré du sens du vent?… Mais à quoi cela rime-t-il?
L’urgence n’est-elle plus urgente? Qui ose découvrir aujourd’hui que ces enfants sont traumatisés? Evidemment qu’ils le sont! Mais qu’ils sont bien présomptueux tous ceux qui étiquettent si rapidement ce traumatisme!
Certains pensent que les enfants doivent rester dans un « espace-temps » lointain, je veux dire loin de leurs parents d’adoption dans tous les sens du terme, ceux-là pensent que c’est la meilleure solution pour ces enfants de cicatriser leur plaie… loin de leur famille adoptive mais aussi loin de leurs anciens et premiers repères, dans des lieux nouveaux, inconnus, avec des visages inconnus.
Moi je pense qu’il est bien plus préférable que ces enfants ne connaissent pas une nouvelle rupture, intermédiaire; qu’il est bien plus préférable qu’ils rejoignent au plus vite leur famille adoptive qu’ils devaient DE TOUTES FACONS rejoindre; et qu’il est bien plus préférable que cette « réunion » soit accompagnée dans les premiers temps et plus longtemps si nécessaire par des psychologues.
C’est fou comme ce qui paraît logique, sensé, raisonnable peut ne pas l’être pour d’autres. Ou alors ce que je dis est totalement absurde… mais il faudrait encore me le démontrer.
Merci pour cette mise au point, je suis ecoeuree des charges violentes et injustes contre l’adoption de ces derniers temps.
Je souhaite beaucoup de courage aux parents qui s’inquietent pour leur enfant reste a Haiti.